Il aura fallu l’accident du « Modern Express », le 26 janvier dernier, dans le Golfe de Gascogne, pour que ressurgisse le spectre des plus monstrueuses catastrophes écologiques qui frappèrent les côtes françaises, de l’ « Amoco Cadiz » (1978) au « Prestige » (2002), en passant par l’ « Erika » (1999)…
Alors que nous étions en droit de penser, à en croire les autorités, que les leçons tirées de ces tragédies avaient permis d’élaborer des stratégies et de mettre en œuvre les moyens permettant d’écarter de futures catastrophes, l’épisode qui a tenu en haleine, durant près d’une semaine, tant les acteurs économiques que les riverains du littoral franco-espagnol, est venu balayer, d’un coup d’un seul, toutes ces belles certitudes.
Par chance, pour cette fois, il ne s’agissait pas d’un pétrolier, mais d’un banal cargo transportant du bois et des engins de travaux publics : une cargaison qui, parfaitement arrimée, ne serait pas à l’origine de la gîte de 50 degrés enregistrée par le navire…
Par chance, également, le navire arrivait au terme d’ un long périple et ses cuves ne contenaient que quelques centaines de tonnes de fuel : une « paille » à côté des 220 000 tonnes de l’ « Amoco Cadiz » ou des 77 000 tonnes du « Prestige »…
Cette avarie, sans conséquence majeure pour l’environnement, à ceci près qu’elle aurait pu coûter la vie aux sauveteurs et à l’équipage, pose néanmoins un certain nombre de questions…
Comment se fait-il qu’il se soit écoulé près de 24 heures avant que l’ « Abeille Bourbon » se trouve sur zone ?…
Tout bêtement parce que l’ « Abeille Languedoc », qui était basée au port de La Pallice (La Rochelle), avait été déplacée à Boulogne-sur-Mer, depuis 2011, et que c’est sa « sœur jumelle », basée à Brest, qui fit le déplacement : une anomalie pour le moins surprenante, sauf à considérer, ce qui est tout-à-fait vraisemblable, que l’activité de sauvetage en mer est autrement plus soutenue et, en conséquence, nettement plus lucrative, en Manche que dans le Golfe de Gascogne… Une démarche qui, en soi, n’est pas condamnable pour une entreprise privée, filiale du Groupe Bourbon, un groupe international spécialisé dans les services dédiés aux industriels du pétrole, du gaz et de l’éolien, en milieu offshore. Car, contrairement à une idée reçue, l’Etat et les autorités maritimes, en particulier, ne disposent d’aucuns moyens spécifiques permettant d’anticiper et de traiter, dans l’urgence, ce type d’accidents ou catastrophes : ainsi, ces missions sont sous-traitées, historiquement, à un acteur privé, « Les Abeilles », moyennant un contrat forfaitaire annuel de plusieurs millions d’euros, conclu avec la Marine Nationale…
Pourquoi pas ? Mais alors, comment se fait-il que ce contrat n’ait pas fait obligation à cette société de maintenir, à demeure, l’ « Abeille Languedoc », à La Rochelle ?… Même nos technocrates, qui ont procédé au récent et « savant » redécoupage des Régions, n’auraient jamais imaginé que l’on pût « jumeler » le Languedoc avec le Nord-Pas de Calais…
Lors du déclenchement de l’alerte, le 26 janvier dernier, en milieu de journée, la mer était relativement peu agitée et, si un remorqueur avait été basé à La Rochelle, les opérations de sauvetage auraient pu se dérouler dans des conditions autrement plus favorables…
En outre, que serait-il advenu du Modern Express si la Marine Nationale n’avait pu bénéficier de l’assistance de deux remorqueurs espagnols (le « Centaurus » et le « Ria de Nigo »), affrétés par la société SMIT-Salvage, mandatée par l’armateur ? Cette remarque vaut également pour les 22 membres d’équipage qui furent secourus par des hélicoptères, espagnols eux aussi…
La France jouit du deuxième domaine maritime mondial, juste derrière les Etats-Unis : est-il normal que l’Etat et sa Marine se trouvent à ce point démunis face à un problème aussi mineur que celui soulevé par le Modern Express ?…
La protection de nos côtes ne relève-t-elle pas d’une mission de service public, à part entière, compte-tenu de leur intérêt stratégique vital ?… Ne valent-elles pas une « messe », au même titre que celle qui fut consacrée, à grands frais, au réchauffement climatique, à l’occasion de la COP 21 ?…
Le 30 avril 2010, l’Aéronavale voyait disparaître du service actif ses derniers « Super Frelon » : des hélicoptères de transport et de lutte anti-sous-marine exceptionnels qui, « en fin de carrière », furent utilisés pour des opérations de sauvetage en mer, grâce à un rayon d’action de 180 nautiques (320 kms), soit exactement en plein milieu du Golfe de Gascogne…
En attendant leurs remplaçants, « Les Abeilles » devront apprendre à se passer des « Super Frelon » tandis que notre littoral devra se faire à l’idée qu’il n’est pas à l’abri d’une nouvelle marée noire, à défaut de miel…
Jean Bulot, ancien Commandant de l’ « Abeille Flandre » et auteur de « Colères noires » écrivait, en 2002, que « le Golfe de Gascogne était bien connu des marins pour ses dures conditions de mer et sa dangerosité, plaidant pour que celui-ci soit couvert par deux remorqueurs de haute mer de moyenne puissance, basés à la Pallice ou à Verdon… ». Il croyait utile d’ajouter que ce type de disposition valait également pour l’Ile de Beauté, où plusieurs alertes avaient « glacé le sang des corses… ».
Comment peut-on rester indéfiniment sourd aux avis des experts et continuer de prétendre « que l’on ne pouvait pas prévoir ?… ». Comme disait fort bien cet autre « expert », dénommé Confucius : « La vie de l’homme dépend de sa volonté : sans volonté, elle serait abandonnée au hasard… ». La messe est dite…